Drôle d’endroit pour des retrouvailles. Le désert. Ma rencontre avec le Maroc date de 2006. Elle a été assez spectaculaire pour devenir un mètre étalon dans ma vie : année 0, cifr en Arabe, qui signifie « vide ». Ce zéro qui renvoie à la fois au néant, et à l’infini.

J’y suis retournée régulièrement depuis, le plus souvent possible d’abord, et puis ensuite plus. Pendant 10 ans.

Ce 8 avril, jour de la Sainte Julie, je suis à la fête. Je pose à nouveau le pied sur ce sol que j’aime tant. Les odeurs m’assaillent dès l’aéroport, familières et réconfortantes. Marrakech m’intimide, je la connais peu. Elle me rappelle que désormais je suis bel et bien une touriste, entourée d’un casting de 9 personnes avec qui je m’apprête à vivre une semaine de retraite au milieu du désert.

Après une première nuit dans un riad au nom annonciateur de ce qui nous attend « Ciel d’Orient », nous voilà partis pour 8 heures de route dans un silence mi-intimidé, mi-émervéillé par ces paysages vertigineux. Pas besoin de musique, pas besoin de mots : ce voyage est l’occasion de commencer à réaliser ce dans quoi nous nous sommes lancés. Nous confronter à l’immensité.

Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part

Le Petit Prince, Antoine de Saint Exupéry

Nous voilà au milieu du désert. Là ou le temps se dilate, et la vie de la moindre fourmi semble relever du miracle. Chaque trace de vie est émouvante : un chant d’oiseau, un arbre qui a réussi à défier le destin pour pousser.

Passer la porte du désert n’est pas anodin. Entre solennité et dénuement absolu. Instinctivement, après un moment de gêne, de peur de mal faire, je me suis dirigée vers un arbre dont la présence au milieu de tout ce vide me semblait irréelle. Premier vrai moment de grâce. Emotion de toucher cette écorce pleine de vie dans un lieu où elle semble tellement absente.

La magie tant espérée opère, vite. Cet endroit me nourrit autant qu’il me bouscule. Equation imparable pour retrouver la joie simple qui s’était perdue en cours de route.

Guidés par Ali, et 4 chameliers, les journées alternent entre itinérance sans savoir quelle est la destination, et arrêts à l’ombre providentielle d’arbres quand la chaleur nous terrasse.

Lors des marches, le silence s’impose. La conversation intérieure va bon train. Je pense « c’est drôle, d’être privé du divertissement pascalien, pour se plonger à l’intérieur…un lundi pascal ! ». Pas de stand up prévu au retour donc, mais une rencontre avec mon intériorité pas aussi déplaisante que prévu.

Ce silence qui me semblait imposé au début et hostile, est aussi habité que ce désert dont je pensais qu’il n’abritait que désolation. Impossible de le fuir avec un écran, en consultant les notifications : ici rien ne passe. Il aura fallu que ce maudit téléphone soit coupé 5 jours pour je puisse retrouver le chemin de la connexion à moi-même.

Au creux de ces silences, les mots d’arabe sont revenus, sans faire d’effort. « Hayat zouina » un soir en contemplant les étoiles je l’entends. « La vie est belle ». Je le dis, timidement parce que l’intériorité a ses limites et le voyage intérieur n’a de prix que si les trésors sont mis en commun au retour.

Je me nourris des trésors des autres, de ce qu’ils partagent, si loin de ce qui me viens. Heureuse que ça existe et que ça soit précisément eux, dont j’ignorais tout la veille, avec qui il m’est donner de partager ces moments là.

Le retour est à l’image de cette semaine. Tout en contraste, entre joie des retrouvailles et conscience d’avoir vécu un moment hors du temps qui ne se reproduira jamais. Le monde n’a pas changé, nous si. Le début d’un nouveau voyage commence, et d’une mission périlleuse. Ramener dans nos quotidiens si plein de tout un peu de ce silence du désert emprunt d’une promesse d’éternité.

Le monde, c’est la trop lourde présence des choses où l’on sent parfois la trop vive absence de Dieu. Le désert, c’est la trop dure absence des choses où l’on sent parfois la douce présence de Dieu.

Jean-Yves Leloup