La foi s’est frayé un chemin dans ma vie à plusieurs reprises.
Enfant, la foi m’était – comme tous les enfants je crois – naturelle. Je la voyais comme une puissance concrète, très utile à invoquer avant de me lancer dans un exercice de maths intimidant.
Avant de lire l’énoncé, je joignais les mains, les serrais très fort, et invoquais « la puissance ».
Comme le résultat était presque toujours au rendez-vous (l’année où je l’ai pratiqué abondamment, j’ai reçu un prix pour avoir été la meilleure de ma classe), mes relations avec le Divin étaient plutôt au beau fixe, quoique cantonnées à de l’utilitaire. Une fois le vœu exaucé, je retournais à mes occupations : celles d’une enfant de 8 ans, c’est-à-dire rire, essayer de parler en classe sans me faire trop repérer en guettant la récré.
J’ai un souvenir de cathé un peu plus net que les autres. Le jour où l’on a évoqué l’Esprit Saint. J’ai en mémoire les apôtres dans leur maison, hébétés par la mort de Jésus. Et ce feu qui fait irruption et les invite à répandre la nouvelle dans le monde entier. Je trouvais ce feu très joyeux, et je me souviens avoir espéré qu’un jour, je ressentirai ce feu en moi qui me ferait parler toutes les langues, ou que j’apercevrais cette fameuse colombe avec un rameau dans le bec.
En grandissant, cette foi enfantine m’a quittée. Sans que je m’en aperçoive : je n’y ai plus pensé. La messe estivale durant les vacances chez mes grands-parents était le lieu privilégié de mes plus beaux fous rires. Sous l’œil mi-agacé mi-complice des septuagénaires trop heureux d’avoir un enfant pour faire la quête.
La foi est revenue à l’adolescence, un peu malgré moi. Jeannette Le Bouquin, la maman d’une amie chez qui je passais beaucoup de temps, me voyait obsédée par les garçons, tributaire de mes hormones en ébullition qui ne s’accordaient pas du tout avec mon succès auprès du sexe opposé. J’étais obsédée à l’idée de plaire à la terre entière, et effondrée de faire le constat que je ne plaisais pas à grand monde. A cette époque, j’ai noirci des pages entières d’un journal intime dans lequel j’écrivais que la vie ne valait pas la peine d’être vécue si on était moche, et que tout serait toujours plus facile « pour les belles ».
H4
J’ai toujours été de nature joviale et plutôt gentille, mais à cette époque là j’ai développé une personnalité qui correspond à deux fleurs de Bach, que je découvrirai plus tard.
Centaurée, d’abord. Mon désir absolu de plaire me faisait faire des choses qui me heurtaient. J’étais plutôt réputée aventurière et casse-cou. Je faisais le mur (moi qui une peur panique du noir !), j’ai même sauté d’un toit un jour pour aller chercher une balle de tennis envoyée par un garçon que je trouvais très beau. C’est ce jour-là que Jeannette m’a dit qu’il fallait que je « muscle le jeu ». Et que j’étais précieuse, plus que les garçons à qui j’essayais de plaire, au risque de me blesser.
J’étais aussi Aigremoine. Ces fameux clowns tristes, qui font rire des classes entières, qui se réfugient derrière les addictions pour faire écran et sont, dans le fond, d’une tristesse insondable. L’humour a des vertus fabuleuses, il permet de se faire une place, d’avoir un impact quantifiable sur les autres. Mais cette place est parfois un fardeau, et va de pair avec une sensation de décalage total entre ce que l’on a dans le ventre, et ce qui nous relie aux autres.
J’ai découvert ces fleurs de Bach plus tard, quand ça allait déjà mieux, et je regarde avec une infinie tendresse cette adolescente avide de bonheur, qui ne sait pas trop comment s’y prendre. Gesticule beaucoup, rit trop fort, fume pour se donner une contenance et boit en pensant que les moments de fête pourraient changer quelque chose.
Après le sermon de Jeannette, elle m’a fait monter dans un Renault Trafic avec des enfants d’amis cathos à eux, direction Lyon et la rue Henri IV, QG de la Communauté du Chemin Neuf. Des cathos pas comme ceux que je connaissais : en short qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, en serre-tête pour les filles, dont on a l’impression que la religion est plutôt un marqueur social qu’une façon d’être au monde.
Ces « cathos là » étaient nombreux, joyeux, très simples. Dans la famille Le Bouquin, celle de mon amie Claire-Marie que j’ai côtoyé de près, on parlait beaucoup. La maison était un peu en désordre (maintenant que je suis mère de deux enfants, je fais le lien avec la vie à sept) mais paradoxalement : pas de poussière sous le tapis, on se disait tout. J’ai découvert la parole qui libère.
A « H4 » comme on dit dans le jargon Chemin Neuf, j’ai découvert une foi joyeuse, les merveilles de la gentillesse – quand ce terme au lycée avait une connotation qu’on lui connait tous « je voudrais pas dire du mal, mais elle est gentille » – et vécu des weekends qui avaient des airs de parenthèse enchantées.
Réunis en petits groupes appelés « frats », on parlait beaucoup, on apprenait à prier : en tout cas pour moi qui avait oublié, et on chantait comme des fous. Des chants que je n’aurais jamais osé assumer en public « Ouvrons les portes au Roi au Dieu de Gloire, lançons des cris de joie ! ». Le groupe galvanisé s’époumonait, je leur emboîtais le pas avec joie, légèrement en recul, en me demandant ce que penseraient les copains du lycée si je leur racontais. Ce que je me gardais bien de faire.
Parenthèse enchantée oui, mais pas pour les hormones. Assez vite, j’ai jeté mon dévolu sur Emmanuel. Qui portait des lunettes, dont la famille vivait de façon communautaire avec le Chemin Neuf et dont on sentait que c’était son royaume. Je le trouvais subversif (autant qu’on peut l’être dans un weekend catho !), très sûr de lui et surtout très drôle.
Au retour d’un weekend pendant lequel j’étais montée dans un arbre pour me faire remarquer (décidément, ma passion pour les garçons allait souvent de pair avec une ascension) qui m’avait valu une conversation pouvant laisser croire que j’avais atteint mon objectif, je me suis réveillée un matin avec des messages de lui sur mon répondeur. Il avait réussi à avoir mon numéro (les premiers portables, les années 2000 !).
Sensation euphorique. Plutôt que de répondre par message, ce qui aurait été un peu facile, j’ai découpé des lettres dans des magazines (sans doute « Jeune & Jolie » qui, Dieu merci n’existe plus.) pour lui en écrire une. Je ne me souviens plus exactement de la teneur, mais pour la première fois de ma vie, je disais à quelqu’un qu’il me plaisait beaucoup. J’ai découvert plus tard que cette technique a longtemps été celle de prédilection des kidnappeurs et globalement des sociopathes. A l’époque, je trouvais ça furieusement romantique. Et j’avais du temps !
Lettre expédiée au foyer dans lequel il était sensé vivre selon mes informations.
Restée sans réponse. Peut-être a-t-elle été censurée par des parents qui ont plutôt retenu l’option sociopathe ?
Toujours est-il que plusieurs années plus tard, quand je vivrai à Paris, j’aurais ce fameux Emmanuel au téléphone. Claire-Marie qui est devenue une de ses amies et lui parle de cet épisode. Il lui dit « mais j’étais amoureux de Julie ! ». Elle m’appelle, et me le passe. Cette conversation, gênante mais mignonne, a été un grand soulagement. Nous n’attendions évidemment plus rien, nous n’avions plus 16 ans, mais savoir qu’il y a eu de la réciprocité est un sentiment de réconfort puissant et rétroactif.
Pour en revenir à la foi, à cette période de l’adolescence, elle était plutôt une toile de fond. Une petite musique réconfortante. J’étais heureuse que tous ces gens soient là. Croient dur comme fer, et que cette foi leur donne envie de mettre en œuvre ces weekends, de créer ces moments si précieux. Drôle d’impression d’être un passager clandestin qui profite de cette ferveur sans y adhérer totalement.
Je me demandais comment chacun recevait les textes, que je trouvais parfois pompeux et durs à croire. Les accompagnants les interprétaient, les remettaient dans notre contexte dans un effort louable de médiation. Ça ne me suffisait pas. Ça me semblait trop loin de la vie.
Je garde en mémoire une soirée sur le thème de la réconciliation dans la maison des Pothières. La consigne était d’écrire une lettre à quelqu’un avec qui on voulait vivre une expérience de pardon. J’ai pris la plume, écrit à mon frère aîné pour qui mon existence est un fardeau dont il ne se cache pas.
Souvenir d’avoir essayé de pleurer, de vivre au diapason des bougies tout autour, de cette ambiance assez mystique, mais rien ne se passait. J’étais plutôt satisfaite de ma plume, j’ai écrit en réfléchissant plus aux tournures de phrases qu’à une vraie libération. Ce soir-là, j’ai déposé mon enveloppe sous la croix pour qu’elle soit détruite (c’était un exercice intérieur) et la « magie » n’a pas opéré.
Je date la fin de ma semi-ferveur adolescente à cette soirée de libération qui n’a pas fonctionné. J’ai continué ma vie, sans vivre de parenthèses enchantées.
Le pouvoir des fleurs
Une vie parisienne d’abord. Avec cette sensation de plus en plus aigue d’être coupée en deux.
Travailler en agence de pub implique un personnage social cohérent avec ce rôle. Suffisamment excentrique pour crédibiliser la dimension créative, mais quand on est côté commercial – et qu’on doit vendre la créativité des autres à des gens qui ne le sont pas – suffisamment bien habillé pour justifier le prix des honoraires exorbitants. Idéalement, pas trop mal fichu pour incarner un métier de l’image.
J’ai adopté ce rôle, plus ou moins consciemment, me fondant dans un moule que je trouvais plutôt alléchant. Un peu comme au lycée, en étant suffisamment « cool » pour être avec le cercle qui me semblait être le dominant, sans en être un élément central.
La vie était rythmée par les soirées « charrettes » qui me donnaient l’impression d’avoir un rôle important, et les soirées agence, dans lesquelles j’essayais de me faire une place, à grand renfort de vodka pour me désinhiber.
Les agences se sont succédées, créatives et belles, pleines d’une folie qui ne peut correspondre qu’à la décennie de la vingtaine. Elles m’ont donné le goût du beau et du travail bien fait. FRED & FARID notamment restera pour moi un tournant majeur. L’agence de la confusion des sentiments. Celle des stylos jetés au visage pour me faire raccrocher un téléphone, et paradoxalement celle dans laquelle je me suis sentie adoubée. Chrysalide devenue papillon : l’éternelle étudiante en devenir sur laquelle on misait était devenue une professionnelle aguerrie qui connaissait son métier.
Ça m’a logiquement donné des ailes, et un peu plus de culot qu’en jeune fille bien élevée j’avais assez peu en montant à la capitale. Ma pharmacienne de mère m’avait transmis son goût pour la santé naturelle, et par-dessous tout pour les huiles essentielles à qui aucuns maux ne semblaient pouvoir résister. Quitte à travailler beaucoup, autant que les huiles essentielles, devenues mes fidèles compagnes, soient à mes côtés.
Un matin, dans un café à côté du square Montholon j’ai envoyé une candidature à Marco Pacchioni, fondateur d’une marque encore confidentielle découverte peu de temps auparavant : Puressentiel. Quand mon téléphone a sonné le soir même, à 19h30 – à Paris, on travaille encore à cette heure-là ! – c’était Anne, qui se présentait un peu trop humblement comme l’assistante de Marco, qui me proposait de le rencontrer la semaine suivante.
Rendez-vous était pris un soir de décembre, à 20h (décidément, les parisiens ont des horaires étranges !), au 116 Boulevard Exelmans, dans le 16e arrondissement. En arrivant, je remarque la boîte aux lettres. Les messages au Tipex (les gens savent-ils encore ce qu’est un Tipex ?) « Cloclo Forever ». Il s’agit de l’ancien bureau de Claude François, qu’on aperçoit dans le Biopic qui lui est dédié tourné l’année précédente.
Marco a l’assurance de ceux à qui tout réussi. Un bureau immense, surmonté d’une étoile rouge gigantesque – ce qui ne manque pas de piquant quand on connaît l’homme d’affaire. Pas certaine que le communisme lui parle beaucoup. La conversation est suffisamment concluante pour qu’il me dise « je ne sais pas vraiment ce que je vais faire de toi, mais je t’aime bien ». La proposition d’embauche arrive la semaine suivante. C’est officiel : je quitte la pub, et les « apéros » : verres de vin règlementaire après une journée qui a déjà bien duré. Je quitte la rive droite, libre et sulfureuse, pour la rive gauche : résidentielle et plus clinquante.
Je l’annonce à Isabelle, grâce à qui la mue chrysalide – papillon a pu s’opérer. Elle a les larmes aux yeux. C’est étonnant de ne jamais mesurer la place qu’on occupe pour les autres. Le hasard de la vie a voulu qu’elle fasse ses adieux lorsqu’elle me manageait à son grand ami, Corse comme elle. Elle revenait de ces dernières visites éprouvée et en larmes. Ami dont il sera question quand j’arriverai chez Puressentiel puisque c’était aussi le grand ami d’Anne, qui m’a appelée pour ce fameux RDV. Je prends conscience des liens qui se tissent et que le hasard n’existe peut-être pas tout à fait. Ca me rappelle un exposé de philo en terminale : j’avais choisi d’expliquer la différence entre destin et Providence. Le destin est la suite des évènements qui composent la vie d’un être humain. La Providence pourrait être un synonyme mais doit son P majuscule à l’idée que c’est Dieu qui est à l’œuvre.