S’il est une période de l’année qui symbolise à merveille le yin & yang, c’est à dire la coexistence des contraires de façon indissociable, c’est bien le solstice d’hiver et les fêtes de Noël. Le plus sombre n’existe pas sans le plus lumineux, et inversement.
Cette période est un écho étonnant à mes trois lectures du moment – je reste persuadée que le hasard n’existe pas, encore moins avec les livres qui me tombent entre les mains.
Philippe Jaeneda, « Sans preuve et sans aveu » (Mialet-Barrault)
Commençons par le plus sombre, de prime abord : Philippe Jaenada, qui semble avoir une garde-robe de super héros exclusivement remplie de noir (je ne lui jette pas la pierre : comme dirait monsieur Meaudre, mon prof d’histoire de terminale « n’importe qui a de l’allure en col roulé noir ! » ce qui me vaut d’en posséder 5). Découvert avec la Serpe, par hasard, sur les conseils avisés d’un libraire d’Orange à qui j’expliquais ma passion pour les faits divers (je lui en ai d’ailleurs parlé avec tant d’enthousiasme qu’il me semble l’avoir senti soulagé que je prenne le premier livre vers lequel il m’orientait).
Je découvre donc Philippe Jaenada, écrivain hilarant doublé d’un fin limier. La Serpe est le second « Cold Case » auquel il s’attèle après La Petite Femelle publié en 2015. Capable d’une concentration ahurissante pour se plonger à corps perdu dans des archives lointaines, mettre en cohérence des détails qui pourraient sembler infimes – qui ne le sont plus dès qu’il y a une vie en jeu – il y a quelque chose du commissaire Maigret dans cet écrivain là. Mais Philippe (oui, je l’appelle par son prénom. Au fil de ses parenthèses qui me font tordre de rire, on est devenus de grands copains sans qu’il le sache, et je me surprends à lire comme si je l’écoutais au zinc du Général Lafayette, que j’ai côtoyé assidument lors de mes années parisiennes, sans savoir que j’avais mon futur écrivain préféré à quelques tables de moi !) intervient après, une fois que la bataille est perdue : il lave l’honneur.
Revenons à La Serpe (prix Femina 2017, les femmes ne s’y sont donc pas trompées). Le pitch : automne 1941, dans un vieux château du Périgord, le propriétaire des lieux, sa sœur et sa bonne sont assassinés à coups de serpe. Henri Girard, seul survivant, est aussi l’héritier des victimes et fait immédiatement figure de suspect idéal. Acquitté grâce à son avocat, Maurice Garçon, ténor du barreau de l’époque, l’opinion publique restera convaincue de la culpabilité de ce grand type si antipathique.
Drôle d’idée, de parler de massacre à la serpe pour parler de lumière ? C’est sans compter le talent, j’aurais tendance à dire génie, de Philippe Jaenada. Dans ce décor poisseux, lourd de jalousie et de rancœur, ses parenthèses sont des respirations, des bouffées d’air qui permettent d’avancer, de le suivre au fil de cette enquête pharaonique.
Et surtout, il y a chez lui ce qu’on retrouve de façon encore plus marquée dans ses deux livres suivants : Au Printemps de Monstres, et Sans preuve et sans aveu. Une empathie qui ne doit pas lui simplifier la vie tous les jours. Ce type a des antennes, et la capacité à se fondre totalement dans les protagonistes dont il raconte l’histoire. Ca me rappelle un peu ce que les réalisateurs disent au sujet de Gérard Depardieu – dont il partage l’art consommé du lever de coude – la capacité presque surnaturelle à s’oublier totalement pour se fondre dans un personnage. Chez Gérard (oui, je l’appelle aussi par son prénom, j’ai suffisamment écouté à le cycle à Voix Nue à son sujet, lu tout ce qui s’écrit sur sa vie – je recommande d’ailleurs l’excellente BD de Mathieu Sapin – pour me permettre cette intimité-là) ce sont des personnages de fiction, chez Philippe : tout est réel.
Et c’est là qu’intervient la lumière : grâce à cette empathie, qui lui donne une soif de justice presque enfantine, et cette élégance de rire de tout, sans jamais se moquer de personne, sauf de lui. Philippe Jaenada, avec chacun de ses ouvrages est un révélateur d’humanité, de la part de lumière, qu’il va chercher sans relâche en « mettant les mains dans le cambouis » et en se frottant de tout son être aux ténèbres.
Son dernier livre m’a surprise : je ne m’attendais pas à le recroiser dans une librairie de sitôt (Au printemps des monstres fait plus de 700 pages, j’ai beau être impatiente, je lui laisse le temps de faire son boulot). Un Philippe Jaenada qui tombe du ciel avant Noël ! Il est aussi passionnant que les autres, le petit garçon qui s’insurge contre l’injustice n’a rien perdu de sa verve. La parution est aussi rapide car il y a urgence. Alain Laprie dont il est question dans cet ouvrage vient d’être incarcéré, de façon arbitraire après une enquête faite d’approximations, et à charge. Ce bouquin est un peu plus qu’un livre : c’est une bouteille à la mer, pour aider un innocent à retrouver la lumière.
Christian Bobin, « La plus que vive » (Folio)
En cette fin d’année 2022, je viens de découvrir (à l’occasion de sa mort ! ça ne s’invente pas) l’œuvre monumentale, et lumineuse, de Christian Bobin.
Ecrivain fétiche des cathos – Le Très-Bas dédié à Saint François d’Assise, son premier succès grand public, s’est vu décerner le prix du livre catholique en 1993, Christian Bobin est un sniper de la lumière. Il la traque dans tout, même le plus sombre : l’absence, le manque, le deuil. Pour lui, le beau est en creux : il n’est jamais aussi présent que dans ce qu’on ne voit pas, ce qui manque.
C’est un alchimiste qui transforme les aléas de la vie (pour ne pas dire emmerdes !) en or. Je me suis rapidement attelée à « La plus que vive », récit dédié à sa femme tant aimée, foudroyée à 44 ans par une rupture d’anévrisme. Une amie m’avait parlé, il y a très longtemps, de ce livre qui l’avait bouleversée, et je me souviens avoir trouvé étonnant de s’infliger la lecture du récit du deuil d’un jeune veuf. La vie me semblait suffisamment compliquée pour ne pas avoir envie de me plonger dans les problèmes des autres.
Erreur. L’écriture est visiblement une thérapie, et Christian Bobin un convalescent virtuose.
La mort, comme la vie, a ses ritournelles, ses saisons et ses croissances. Aujourd’hui, nous sommes au seuil du printemps. Demain, lilas et cerisiers donneront leur fête. Si je me retourne pour te voir dans ta mort débutante, Ghislaine – mais retourner n’est pas le mot qui convient. Tu as toujours été en avant, devant -, dans ce temps des derniers gels et des premières floraisons blanches, je te vois comme une jeune femme éclatant de rire sous les giboulées. Ton rire me manque. On peut se laisser dépérir dans le manque. On peut aussi y trouver un surcroît de vie. »
La chance de ma vie, Théo Curin (Flammarion)
J’ai failli passer à côté de ce livre deux fois. La première : en apercevant la couverture en tête de gondole. On y voit un bellâtre souriant, type surfeur américain, le gars un peu trop lisse pour qu’on ait envie de lire sa vie. Moi (aigrie ?) « Super, soit il est influenceur, soit il a revendu une start up, pas de quoi faire un bon livre ».
Et puis malgré tout, je l’ai retourné. A la lecture de la 4e de couv, de la même façon que pour le deuil tragique de Christian Bobin, je ne me sentais pas de taille à lire ce livre là. Je l’ai reposé.
« On ne saura jamais quel aurait été mon destin sans cette maladie – une méningite bactérienne foudroyante à l’âge de six ans -, mais je n’aurais sans doute pas vécu le quart de ce que j’ai eu la chance de vivre jusqu’à présent.Je suis Théo Curin, vingt et un ans, amputé des quatre membres, bien dans ma tête, bien dans ma peau. Quand on me demande comment je réagirais si on me rendait bras et jambes, je réponds : “Non, merci, je ne saurais qu’en faire !”
Et je me suis ravisée. Deux jours plus tard, je suis retournée l’acheter, parce que je voulais comprendre le lien entre ce visage, rayonnant d’une joie pure sur la couverture, illustration parfaite du titre, et le tragique de l’histoire au dos.
Je n’ai pas été déçue du voyage. Ce garçon est un héros, pas un héros du quotidien, un vrai héros qui se serait échappé de la mythologie. Sauf qu’avec lui : le tragique frappe fort, et tout au début. Une maladie rare, cruelle : la méningite foudroyante qui le prive à 6 ans de ses mains et de ses pieds.
Et le merveilleux prend le relai, très vite. Ce livre est une ode à l’amour parental qui déplace des montagnes. L’amour parental qui détermine la place qu’on pourra prendre dans le monde. Ce petit garçon tant aimé, qui n’a de cesse au fil des pages de raconter à quel point il s’est senti privilégié toute sa vie (oui, privilégié !) a un socle d’amour tellement puissant que ceux qui croisent sa route ne sont qu’admiration, respect, puis amour en retour.
Depuis que j’ai refermé ce livre, j’ai envie de parler de Théo à tout le monde. A chaque parent que je rencontre. La maman que je suis a pris conscience – il n’est jamais trop tard !…espérons – de son super pouvoir. L’alliance parfaite de parents aimants, et de Spider Man (qui joue un rôle central !) a permis à ce nouveau Théo d’être un Hercule de temps modernes. Sa traversée du lac Titicaca en autonomie avec Malia Metella Matthieu Witvoet est annonciatrice d’autres défis… j’en imagine 11. L’histoire (fabuleuse) nous le dira.
Mais quel bonheur,quelle merveille !!!!
Déjeuner en lisant tes articles 😊 me remplit de joie!j ai le sourire aux lèvres !!!Encore Julie!J en veux encore!!!!!
Merci🥰
Infiniment touchée par ton message Muriel, toi qui insuffles le goût de la lecture avec un enthousiasme communicatif. S’il y en a une donne le sourire largement, c’est bien toi ! (et retrouver le chemin d’une bibliothèque à côté de chez soi – luxe absolu – n’est pas étranger avec l’envie de me remettre au clavier !). Vive la synergie et les cercles vertueux 🙂