Le Robert, pour le commun des mortels (en tout cas pour moi) jusque-là c’était le gros dictionnaire posé sur une étagère en cas de doute pour un mot croisé, et les nouveaux mots qu’on guette tous les ans pour se dire que tout fout le camp.
« L’idéologie de l’élite, des couches supérieures, ignore superbement ou juge sévèrement […] tout autre usage que le sien. Au contraire le Petit Robert est ouvert à la diversité, à la communication plurielle ; il veut combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes. Le français le mérite. »
— Alain Rey, postface du Petit Robert 2007
En mai dernier, j’ai découvert que les éditions Le Robert ne faisaient pas que le fameux dictionnaire, et qu’elles étaient beaucoup plus fraîches et modernes que leur nom (à la mode pour la dernière fois en 1930) ne pourrait le laisser penser !
C’était à l’occasion de la sortie de la collection « Mots Intimes », dans le joli Pavillon des Canaux : au bord du Canal de l’Ourcq ensoleillé, idéal pour profiter des soirées de printemps. Les éditions le Robert avaient investi cet endroit pour présenter leur nouvelle collection consacrée à l’art épistolaire avec une belle idée : dans ce pavillon qui est une vraie petite maison, des comédiens déclamaient les lettres d’amour, de rupture et des lettres érotiques issues des trois recueils. Difficile de faire plus intime qu’écouter une lettre d’amour en face de deux comédiens à 5 dans une salle de bain.
La fraîcheur de cette collection, on la retrouve chez Agnès Pierron, docteur ès Lettres et historienne du spectacle vivant qui l’incarne parfaitement. Elle signe la préface et le lexiques de chacun des trois recueils, et est aussi l’auteure d’un dictionnaire des mots du sexe : vocabulaire souvent hilarant qu’elle manie à la perfection, et qui lui a permis de conquérir rapidement son public ce soir là. Ses introductions qui retracent le contexte historique et biographique de chaque lettre permettent de plonger dans l’intimité de figures qui ont fait l’histoire : de Montesquieu à James Dean en passant par George Sand, Virginia Woolf, Sade, Edith Piaf, James Dean, François Mitterrand, Michel-Ange…on se projette inévitablement, on retrouve de l’universel dans chacune des lettres…si j’osais, je dirais que ça se lit comme un Voici, sans images mais infiniment mieux écrit !
Mention spéciale au lexique insolite de la rupture, consolation à garder sous le coude en cas de consolation d’ami(e) en détresse. Extrait :
« S’être trompé de casting » Ce que nos ancêtres appelaient le mariage de la carpe et du lapin autrement dit un couple mal assorti. Les psychanalystes choisissent cette manière de dire : s’être trompé sur l’objet de son désir.
L’erreur est d’autant plus possible que, selon la formule consacrée, l’amour est aveugle. L’Eros des Grecs comme le Cupidon des Romains se présentent armés de flèches sorties d’un carquois. Ils ont souvent les yeux bandés. […] Ce manque d’harmonie dans la relation conduit à la froideur, au manque d’empressement. Les baisers donnés sont en contreplaqué, sans coeur. Les partenaires sont amoureux comme du chardon ou comme le chien d’un bâton. La frustration sexuelle s’ensuit. L’amateur de moto se plaindra de dormir sur la béquille. Rester sur faim; c’est, pour un conducteur de métro ou de bus, promener les banquettes.
« L’amitié de la hanche » Qui n’accorde à son partenaire que l’amitié de la hanche entend bien conserver sa relation principale, époux(se), compagne (ou compagnon). Ou avoir l’intention de multiplier les expériences. Il n‘y va que d’une fesse et n’en tâte que d’une dent. Si bien que l’autre se sent garé en double file comme une voiture ou n’être que le second choix comme de la vaisselle.
« Les toutouriénistes » Ceux (celles) qui ne veulent pas partager et qui réclament l’engagement sont surnommé(e)s les toutouriénistes, les partisans du tout ou rien. Il est remarquable que nombre de lettres d’amour commencent par mon tout parfois avec une majuscule mon Tout. L’autre est mis en demeure de choisir, ce qui peut être considéré comme mutilant et faire peur. L’exclusivité est réclamée à cor et à cris; ce qui s’appelle avoir des exigences. Fi des demies-mesures et d’une relation tiède.
Collection « Mots Intimes » des Editions le Robert, dans toutes les librairies depuis le 7 mai.